07/06/2019
Putains de trottinettes !
Comme tout était simple quand la rue se partageait entre trottoirs et chaussée, entre piétons et véhicules à moteur. Il est vrai que, certains jours, il y avait un peu trop des seconds dans nos villes et que la pollution, vers six heures du soir, atteignait fréquemment des records. Bon, la plupart des automobilistes ne respectaient, pas plus qu’aujourd’hui, les passages pour piétons, mais ceux-ci avaient au moins la jouissance exclusive des trottoirs.
L’évolution de la sensibilité urbaine et la nécessaire lutte contre la pollution de l’air ont progressivement changé la donne. Ce fut d’abord l’apparition des vélos. Ou plutôt leur réapparition, car le vélo – peut-on l’oublier ? – a été largement pratiqué par les Français jusqu’à la seconde moitié du XXeme siècle. C’était le moyen de locomotion par excellence des classes laborieuses – tout le monde ne pouvant pas se payer une moto et encore moins une bagnole.
A ce critère économique a succédé peu à peu le souci de l’environnement. Engin mécanique à propulsion humaine, le vélo est bon pour la santé et ne pollue pas. Et même si la France accusait un retard certain par rapport à des pays voisins (comme la Hollande et l’Allemagne), le vélo devint vite un signe de militance écologique. Reste que les cyclistes n’avaient pas la part belle lorsqu’ils roulaient sur la chaussée, juste derrière des camions et des bus. Pour la ventilation pulmonaire, on repassera. En revanche, sous l’angle du monoxyde de carbone et des particules fines, c’était le jackpot cancérigène assuré. Il fallait donc leur aménager des pistes cyclables, ce qui fut fait à minima et, bien sûr, comme à Marseille, au détriment de l’espace piétonnier réduit à la portion congrue sur les avenues et les boulevards. Cela n’empêche d’ailleurs pas les cyclistes de continuer à effectuer une bonne partie de leur trajet sur la chaussée.
Cette ambiguïté du vélo n’a fait que se renforcer avec l’introduction, dans nos villes, d’autres engins roulants non motorisés, rollers, planche à roulettes et maintenant trottinettes. Jusqu’à présent, ces moyens de locomotion étaient associés à l’enfance et à la sortie des écoles. Mais dès les années 90, on a vu de grands dadais se les réapproprier, dans un esprit alternatif, pour leurs déplacements urbains. Du reste, la première génération de trottinettes avait pour elle l’avantage d’être très légère et même pliable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec les modèles électriques en libre accès qui pèsent 16 kilos et atteignent facilement les 25 Km/H. On imagine facilement la surprise, sinon le stress, des piétons qu’ils frôlent à cette vitesse ; car, bien entendu, c’est sur les trottoirs qu’elles roulent principalement. Et comme leurs utilisateurs ne sont pas plus prudents que les cyclistes, ils multiplient d’autant les risques d’accident. A Levallois-Perret, en avril dernier, c’est un octogénaire qui a été heurté mortellement par l’un de ces engins. A Marseille, où les trottinettes électriques sont en location depuis janvier, les accidents – heurts ou chutes – ont pris une tournure exponentielle, puisqu’on y recense pas moins d’un cas par jour depuis avril.
Face à cette incurie, les pouvoirs publics commencent à réagir. Timidement, comme à Marseille, où un arrêté municipal limite à 6 Km/H leur vitesse sur les trottoirs. Plus drastiquement, à l’échelon national, où un décret de loi prévoit, dès septembre prochain, des amendes de deuxième classe (35 euros) et de quatrième classe (135 euros) pour les trottinettes jouant aux formules 1 sur les trottoirs. Ce ne sont certainement pas les piétons qui se plaindront de cette réglementation plus sévère. Mais dans ce genre de litiges, tout repose sur la preuve ; et cela risque de rendre très difficile son application.
Jacques LUCCHESI
17:19 Publié dans numéro 19 | Lien permanent | Commentaires (0)
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